Saint Gobain : après les records de 2022, la mue continue

Peut-on être roi d'une industrie lourde, de la Bourse et du climat en même temps? L'illustre maison Saint-Gobain, fondée en 1665 par Colbert, montrera jeudi si elle a relevé le défi encore l'an dernier, grâce à la refonte de son organisation interne lancée en 2018 et malgré la crise de la construction.

Le géant des matériaux de construction, présent dans plus de 70 pays, publie jeudi soir ses résultats 2023. En 2022, il avait aligné les records financiers, avec notamment un chiffre d'affaires pour la première fois au-dessus des 50 milliards d'euros, et un bénéfice net également pour la première fois au-dessus des 3 milliards.

Le groupe caracole aussi en tête des plus fortes hausses de l'indice CAC40 de la Bourse de Paris en 2023 (+46,02%), juste derrière le groupe automobile Stellantis dont l'action a pris 59,23% l'an passé.

Fabricant de plaques de plâtre, de laine de roche ou de vitrages, Saint-Gobain a été porté par les programmes de rénovation thermique du bâtiment encouragés un peu partout dans le monde grâce à des plans d'aide publique massifs pour faire baisser les consommations d'énergie et les émissions de CO2, et répondre ainsi aux exigences climatiques.

Il a aussi recueilli selon les analystes les premiers fruits de sa propre réorganisation radicale, basée sur une décentralisation géographique tous azimuts, et un porte-feuille relooké d'activités à forte valeur ajoutée, comme la chimie de la construction.

"Construction durable"

Le tout en engageant une autre révolution, sur le plan climatique et la recherche, en faisant la démonstration qu'on peut produire du verre ou des plaques de plâtre sans émettre de CO2, en recyclant et en changeant les processus de production.

Alors que la construction représente près de 40% des émissions de CO2 de la planète, le directeur général du groupe, Benoit Bazin, qui a succédé en 2021 à Pierre-André de Chalendar, s'est fixé pour objectif de devenir le "leader mondial de la construction durable", affichant une "raison d'être" en anglais: "making the world a better home".

"Dans notre esprit, il est clair que le marché ne reconnaît pas l'échelle de la baisse de l'empreinte carbone du nouveau Saint Gobain", indiquent dans une note récente les analystes de Stifel, selon lesquels le titre en Bourse ne reflète pas non plus la hausse structurelle des marges financières du groupe.

Illustration de la mue radicale du vénérable groupe - qui fait partie du patrimoine de l'industrie française, avec la galerie des Glaces du château de Versailles - deux-tiers de ses résultats sont désormais réalisés en Amérique du Nord, en Asie et en Océanie, alors qu'en 2018, 60% étaient encore réalisés en Europe.

Depuis 2018, lorsque Saint-Gobain a lancé son premier programme de réorganisation intitulé "Transform and grow", suivi du plan "Grow and impact" en 2021, un tiers du groupe a changé de main, avec une prédilection pour les acquisitions de sociétés sur des marchés "de croissance" comme les Etats-Unis, le Canada, l'Australie ou des pays émergents en Asie du Sud-Est.

Parallèlement, il s'est délesté de nombre de ses activités de distribution aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, en France (Lapeyre) pour améliorer sa rentabilité.

"On a vendu pour 9,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires et on a acheté pour un peu plus de 6 milliards de chiffre d'affaires", a résumé cette semaine M. Bazin lors de l'annonce de l'OPA amicale du groupe français sur l'australien CSR.

Le groupe devrait néanmoins sentir la crise de la construction actuelle.

Les analystes s'attendent à un repli de 6% du chiffre d'affaires 2023, à 48,05 milliards d'euros selon le consensus établi par Factset, et à 48,13 milliards d'euros selon Bloomberg, contre 51,19 milliards en 2022. Mais il devrait rester au-dessus de celui de 2021, qui s'élevait à 44,16 milliards d'euros.

Pour le seul quatrième trimestre 2023, les analystes parient sur un recul compris entre 9,5 et 10% du chiffre d'affaires, compris entre 11,5 milliards d'euros et 11,6 milliards d'euros.

Ils sont plus partagés concernant le bénéfice net: Bloomberg table sur 3,1 milliards d'euros (+3,2%), et Factset 2,9 milliards d'euros (-3,4%), contre 3,003 milliards l'an passé.

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