Rénover des taudis en logements bas carbone, "projet fou" d'une foncière coopérative

Dans un immeuble défraîchi d'Angoulême, artisans et bricoleurs s'activent pour isoler, rénover et meubler 12 logements bas carbone. Après quelques semaines de chantier participatif, les appartements peuvent accueillir étudiants et locataires précaires, un "projet fou" comme les mène depuis 2021 cette foncière coopérative.

Lancée avec 75 investisseurs ayant misé chacun jusqu'à 30.000 euros pour dix ans, Investir Ensemble compte désormais 225 associés qui donnent de leur argent et de leur temps pour rénover des "passoires thermiques", visant le meilleur diagnostic de performance énergétique (DPE): la note A.

La coopérative, qui réinvestit tous les loyers perçus (350.000 euros par an) dans de nouveaux biens, est passée en quatre ans de quatre bâtiments à 22 immeubles en France (Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Île-de-France...), avec une soixantaine de lots déjà rénovés et un objectif de 200 lots à fin 2026.

Parmi les associés, "il y a des artisans, des profs, des gendarmes, des banquiers, des financiers, des assureurs...", détaille son président et fondateur Frédéric Pedro, 38 ans.

Tous sont sélectionnés après trois entretiens successifs pour coller à "l'état d'esprit" recherché. Les décisions se prennent par vote, les associés consacrent quelques jours par an à la coopérative.

Ruche

À Angoulême, quelque 70 associés ont contribué au chantier pendant une semaine en juin, de 7h00 à 3h00 du matin, par roulement. Et cette ruche vibrionne: piquage d'un mur extérieur, pose d'isolant en lin, installation de gaines...

Ces investisseurs épaulent une trentaine d'artisans professionnels pour retaper une bâtisse délabrée dans une ancienne friche industrielle des bords de la Charente - environ 250.000 euros à l'achat, puis 500.000 euros de travaux.

En cinq jours de chantier, les appartements prennent forme, avec en sous-sol une buanderie partagée et une petite salle de cinéma de 10 places.

"Ça me plaît énormément. J'aime bien bricoler. En plus, je peux le faire pour un projet qui me dépasse un petit peu", sourit Divya Muzumdar, associée qui a investi près de 18.000 euros dans l'aventure.

Cette Bordelaise, consultante en RSE de 41 ans, est heureuse "d'investir en sachant où va mon argent".

"On fait des projets fous (...), de grands chantiers avec des matériaux nouveaux", se réjouit-elle. "Avec ce que ça m'a rapporté (en connaissances), j'ai largement rentabilisé mon investissement."

"Solution au mal-logement"

Investir Ensemble compte d'ailleurs partager en ligne ses bonnes pratiques environnementales, validées de la certification B Corp ou du label "Entreprise engagée pour la nature" de l'Office français de la biodiversité (OFB).

La coopérative présente aussi ce projet comme une "solution au mal-logement".

"Quand j'étais chef d'entreprise dans les jeux vidéo, j'avais du mal à recruter des intermittents, des CDD" car ils peinaient à se loger, développe Frédéric Pedro, disant cibler "un public jeune et vulnérable".

Mi-juillet, à l'heure des finitions et du montage des meubles, les premières visites ont lieu.

Pauline Manach, étudiante en art de 24 ans originaire de la Vienne, galère à trouver un appartement à Angoulême, où "tout part très vite".

Quand la foncière retient son dossier pour ce logement au prix du marché mais aux factures énergétiques réduites, c'est le soulagement. "Je ne pensais pas que ça existait, aussi bien isolé, avec des matériaux aussi bien choisis (...) c'est génial!"

Pour Pascal Monier, maire adjoint à l'urbanisme et à l'écologie, l'initiative est salutaire.

"On avait besoin de requalifier de nombreuses friches" dans cet ex-quartier industriel "paupérisé", dit l'élu, qui salue la "démarche parfaitement vertueuse" d'Investir Ensemble.

Quant à la rentabilité de l'investissement, elle est gonflée par les faibles coûts de la structure, chaque associé apportant bénévolement ses compétences (en travaux, en comptabilité...). Frédéric Pedro assure qu'une mise de 10.000 euros rapportera, "dans le bon scénario", quelque 20.000 euros d'ici dix ans.

Ayant levé 9 M EUR depuis sa création, la coopérative déplore néanmoins la frilosité des banques à financer des projets "qui ne rentrent pas dans les cases".

Les coopératives foncières sont des "outils particuliers et moins fréquents", répond la Fédération bancaire française, pour qui "il appartient à chaque banque de s'exprimer sur leur financement et ses modalités".

© 2025AFP