A Hinkley Point, du béton, de l'acier, et une filière nucléaire pleine d'espoir

Entre forêt de grues, collines de remblais et lacis d'acier, les travaux battent leur plein à Hinkley Point C pour qu'EDF puisse livrer deux puissants réacteurs nucléaires, très attendus par le Royaume-Uni en quête d'électrons bas-carbone.

Après les pâturages et champs de colza de la campagne anglaise, c'est un autre paysage qui apparaît, au bord du chenal de Bristol: d'anciens réacteurs sous leurs abris carrés, et à côté, de nouveaux monuments de béton en pleine ascension.

Démarrée en 2017, la construction de deux réacteurs de nouvelle génération EPR de 3,2 gigawatts (GW), à même d'alimenter six millions de foyers, mobilise aujourd'hui 9.000 personnes, selon l'électricien français.

Les quantités sont phénoménales (1 million de tonnes de béton), tout comme les engins: navires-plateforme pour installer les kilomètres de conduits de refroidissement dans l'estuaire, et même la "plus grande grue du monde", capable de lever 5.000 tonnes.

C'est "le plus grand chantier d'Europe", toutes industries confondues, assure le PDG d'EDF Luc Rémont, qui y recevait jeudi les ministres britannique et française de l'Energie.

Dans la zone du 1er réacteur, le bâtiment cylindrique qui accueillera le coeur du système est progressivement équipé, son mur doublé. A côté, attend le squelette d'acier du dôme. Les bâtiments destinés à la piscine et aux diesels de secours prennent forme. Au total, 3.000 entreprises britanniques et 2.000 françaises (Bouygues, Assystem...) sont impliquées.

La cuve du réacteur, forgée chez Framatome en Bourgogne est arrivée par bateau via la Méditerranée.

EDF vise aujourd'hui une mise en service en juin 2027 (juin 2028 pour le second réacteur).

Mais ces objectifs seront-ils tenus, après déjà quatre révisions de coûts et délais?

Le coût, largement porté par EDF, est à 25-26 milliards de livres (28-29 milliards d'euros) -voire 32,7 milliards de livres en comptant l'inflation-, contre 18 milliards aux débuts.

Sur les délais, le patron du groupe français affiche un optimisme prudent: un chantier "c'est vivant et complexe, il peut y avoir des moments avec des aléas. (...) mais nos équipes sont tendues pour tenir cet objectif".

 

"Montrer au monde" 

Cette semaine, l'heure était en tout cas à la satisfaction chez EDF, un répit pour l'entreprise confrontée à des déboires industriels et financiers à répétition.

Samedi, l'EPR finlandais d'Olkiluoto est entré en service commercial, après 18 ans de chantier.

Avec Hinkley Point, EDF espère tourner la page de la malédiction de Flamanville 3, son tout premier EPR qui accuse 12 ans de retard et une facture quadruplée.

"A Flamanville, nous construisions notre premier réacteur en France, depuis très, très longtemps", dit Luc Rémont. Désormais, "avec des retours d'expérience" de tous les chantiers, "nous sommes rentrés dans une phase de cadence industrielle dont Hinkley Point est le démarrage puisque c'est la première fois qu'on fait deux EPR d'un coup".

"Plus vous faites, meilleur vous êtes", dit-il. La preuve, selon lui: 30% de temps gagné à Hinkley sur les travaux du 2e réacteur, par rapport au premier.

L'enjeu industriel est fondamental alors que la France veut construire à domicile au moins six EPR, et nourrit des ambitions renouvelées à l'export.

"Hinkley Point démontre que la relance du nucléaire est lancée et cela grâce à la filière nucléaire française", est venue appuyer jeudi la ministre française Agnès Pannier-Runacher, très active au sein d'une alliance d'Etats européens pro-nucléaires. "Nous pouvons montrer au monde que nous avons une chaîne d'approvisionnement efficace et prête!"

Son homologue Grant Shapps a redit l'importance de l'atome, avec les renouvelables, dans la stratégie énergétique et climatique du Royaume Uni, pour se passer du gaz.

Jadis pionnier du nucléaire civil, le pays ne compte plus que neuf réacteurs, des modèles au graphite qu'il doit progressivement fermer.

Il prévoit à ce stade deux autres EPR à Sizewell C (est), répliques de Hinkley Point. Reste le sujet de leur financement: après y avoir injecté 700 millions de livres, Londres, associé à EDF, doit encore trouver des capitaux.

Jeudi le ministre Shapps a dit à l'AFP son optimisme, sans grand détail toutefois. "C'est sur la bonne voie", a-t-il assuré, ajoutant oeuvrer à une décision finale d'investissement pour le cours de la législature.

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